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Jeudi 07 mars 2024 07/03/2024 13:18

SCIENCES

Le peuplement de l’Europe remonte à
1,4 million d’années

UNE NOUVELLE TECHNIQUE DE DATATION PRÉCISE L’ÂGE D’OUTILS DE PIERRE DÉCOUVERTS SUR UN SITE EN UKRAINE.

 Vincent Bordenave


Depuis quand l’Europe est-elle peuplée ? Si on s’en tient à la définition stricte de notre espèce, Homo sapiens est installé depuis il y a environ de 48 000 ans. Mais avant ça l’Europe était déjà occupée par d’autres formes d’humanité. Des groupes humains, tous disparus, mais qui ont laissé des traces fugaces dans nos sols. De nouvelles analyses réalisées par l’équipe de Roman Garba, archéologue et membre de l’Académie tchèque des sciences à Prague, et publiées dans la revue Nature, reviennent sur la datation de niveaux d’occupation avec des outils découverts dans les années 1970 dans l’ouest de l’Ukraine, sur le site de Korolevo. Vieux de plus de 1,4 million d’années, il s’agit, selon les auteurs, des plus vieilles preuves de présence humaine sur le continent.

Déjà connu des scientifiques, le site de Korolevo avait révélé une trentaine d’outils en pierre dans les niveaux les plus anciens, il y a maintenant près de cinquante ans. Des outils qui se rapprochent de ce qu’on trouve dans de nombreux sites africains et européens sur des périodes similaires. Les individus se sont adaptés parfaitement à leur environnement, en utilisant ici des roches volcaniques, quand sur d’autres sites ils travaillent le quartz ou le silex. « Il y avait quelques problèmes pour estimer la date, précise Marie-Hélène Moncel, directrice de recherche CNRS et archéologue au Muséum national d'histoire naturelle (MNHN) à Paris. Les datations proposées alors par les chercheurs tournaient autour du million d’années. C’est ici tout l’intérêt de ces travaux qui, grâce à une nouvelle méthode, lui font faire un bond dans le temps et l’inscrivent totalement dans la chronologie que l’on connaît grâce à des sites localisés plus à l’ouest, à savoir une occupation de l’Europe aux alentours de 1,2 et 1,4 million d’années. »

Pour déterminer l’âge précis des sédiments dans lesquels les objets ont été ensevelis, l’équipe de Roman Garba a utilisé une méthode de datation dite de désintégration de nucléides cosmogéniques, avec des atomes d’aluminium et de béryllium. Ces éléments particuliers sont produits par une exposition à des rayons cosmiques, quand les roches sont à la surface. Les scientifiques arrivent ainsi à dater la durée d’exposition des sédiments, et par extension depuis combien de temps ils sont sous terre.
« Ces nouvelles datations sont assez fiables, mais il subsiste une marge d’erreur de plusieurs centaines des milliers d’années, continue Marie-Hélène Moncel. Ce qui fait qu’il est di!cile de savoir qui de ce site, ou d’autres découverts en Italie à Pirro Nord, en Espagne à Orce ou en France au Vallonnet à Menton, sont les plus anciens. Mais ce n’est pas le plus important. L’ensemble de ces sites nous permet de mieux comprendre la dynamique de peuplement de l’Europe. »

Il y a plus de 2 millions d’années, des groupes humains originaires d’Afrique se sont aventurés sur une large partie du globe. Raconter leur histoire reste très compliqué. « Avec des marges d’erreur de plusieurs centaines des milliers d’années sur les datations, il est di!cile de savoir si ces groupes étaient à Korolevo durant une période glaciaire ou interglaciaire et si l’arrivée d’un groupe humain à tel endroit s’est faite à la faveur de tel ou tel climat », explique Clément Zanolli, chercheur CNRS et paléoanthropologue au laboratoire Pacea de l’université de Bordeaux. Mais il semble sûr qu’en Europe l’arrivée des populations est bien plus tardive qu’ailleurs. En Chine, des outils sont ainsi datés à 2,1 millions d’années. « Le site de Dmanisi, au pied des montagnes du Caucase en Géorgie (où l’on trouve des outils, mais également des crânes humains et des restes osseux), indique que l’homme est aux portes de l’Europe vers 1,8 million d’années, mais n’y entre pas avant 1,4 million d’années, ajoute Marie-Hélène Moncel. Ces groupes ont probablement contourné cet obstacle par l’ouest pour ensuite remonter vers ce qui est aujourd’hui la mer d'Azov. Mais nous n’arrivons pas à comprendre si des corridors vers l’Europe sont restés fermés plus longtemps pour des raisons climatiques. » Peut-être que ces individus sont issus des mêmes populations que ceux que l’on retrouve en Asie, et qui ont ensuite circulé d’est en ouest. « Mais rien n’interdit de penser que des populations ont pu franchir la Méditerranée par d’autres chemins, continue l’archéologue. Comme le détroit de Gibraltar qui a pu être un couloir terrestre à certains moments lorsque le niveau de la mer baisse lors des périodes les plus froides. »

Une mosaïque de groupes

Reste désormais à savoir l’identité de ces tailleurs de pierre. N’ayant pas d’ossements sur le site de Korelevo, nous ne pouvons qu’émettre des hypothèses. « Nous sommes sur une période assez floue en Europe, explique Clément Zanolli. L’Asie est alors occupée par Homo erectus et il est possible que ce soit le cas également en Europe. C’est ce que suggèrent les auteurs, mais rien ne permet d’en être sûr. » Sur le site de Dmanisi, les restes humains sont attribués à une espèce parfois appelée Homo georgicus qui présente des caractères intermédiaires entre Homo habilis et Homo ergaster, deux espèces que l’on trouve en Afrique entre 2 et 1,5 millions d’années. « En Espagne, on a des restes osseux humains que l’on attribue à Homo antecessor daté à 1,2 million d’années, ajoute Marie-Hélène Moncel.

Mais ce sont des restes extrêmement fragmentés qui ne permettent pas de dresser un portrait-robot assez complet. »Homo antecessor est un curieux mélange qui partage certains traits anatomiques avec d’autres espèces comme Homo heidelbergensis (qui a vécu en Europe il y a entre environ 700 000 et 300 000 ans), mais également des caractéristiques plus modernes et assez proches des Néandertaliens et des hommes modernes.

L’humanité d’il y a plus de 1 million d’années est une mosaïque bien plus complexe qu’elle ne l’est aujourd’hui. Tous ces groupes humains, plus ou moins différents, se sont côtoyés. Certains ont quitté l’Afrique et ont réussi à atteindre des territoires lointains et parfois hostiles. Séparés les uns des autres, ces groupes ont formé des populations distinctes. En Asie, leurs probables descendants, les Dénisoviens, pouvaient vivre à plus de 3 000 m d’altitude dans l’Altaï. En Europe, l’homme de Neandertal est peut-être l’héritier des tailleurs de pierre que l’on trouve en Ukraine, en France ou en Espagne. À moins, qu’ils soient issus d’une autre lignée arrivée bien plus tard. Une seule chose est certaine, quand Homo sapiens a entamé sa conquête du monde, il y a un peu plus de
90 000 ans, toutes ont fini par disparaître, pour arriver à ce moment unique de l’histoire humaine : le règne d’une seule espèce humaine, la nôtre. V. B.

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